Lettercamp au Buchstaben Museum in Berlin, 2 juillet 2013.
Le principe est simple. Les lettres, posées sur la plage, sont là. Patientes. Attendent un sens. Une main, l’envie d’écrire, d’un estivant passant. Ce jeudi-là, le 18 juillet, une brume de mer sévissait. 98% d’humidité relative, visibilité réduite, vent force 4-5. Les lettres sont restées longtemps à attendre. Seul la caméra automatique, mécaniquement, prenait note, trace. Comme ici.
Personne ne s’attardant vraiment sur la plage.
C’est le poste de secours qui, à un moment, donna le signal de départ. « Vincent Love ».
Le départ fut retardé. Train loupé. Travaux. Le camion pas trop frigo ce matin. On a du faire un détour par la Coopérative Maritime de Dunkerque. Y’a des gens sur qui on peut compter en cas de coup dur. Les lettres furent chargées de glace pilée pour accélérer le processus… Celles de dernières minutes, découpées dans la forge de l’EPSM de Bailleul, soudées chez Guynemer et qui n’ont pas eu le temps, ni la chance, de passer une nuit au froid chez Dunfrost, toujours là aussi pour geler à coeur.
Glace pilée. Pelle blanche. Rayons matinaux. Le port. Les bateaux rentrant. Les pesées. Et dans le fond le chantier du Frac s’anime.
Puis la route. On y reviendra en longueur. Aux frayeurs du frigo, derrière. Pour arriver à Wroclaw, heureux d’arriver. La ville est belle, sous le soleil. Les champs encore gorgés des dernières inondations, l’Odra encore gonflée des dernières crues, boueuse, marron, puissante.
Le bouche à oreille se met en place, via Rozrusznik, KRVN, la médiateka et son human library, pour combattre les préjugés. L’installation à Tumski Most en est comme l’after.
Une interview pour un article. Comment vous inscrivez-vous dans le projet?
Réponse: pour moi « langage breeds stereotype »… après on nuancera…
Reprise du camion, la température est montée, repérage sur le pont. Andrés a trouvé l’endroit, on récupère l’autorisation de la ville. Nous voilà prêts. L’orage menace, mais passera…
« To achieve our great purpose in life: move »
Jack Kerouac.
Cette impossibilité de saisir les oeuvres, fondantes pour Escalofrio et non déplaçables pour le Niveau Zéro de L’Écriture puisque le mot se perd en lettres, éclatées, aux sens modifiés, figé dans un autre paysage, font que l’oeuvre elle-même n’existe plus en tant que telle.
Et même n’a jamais existé.
Cela nous validons, assumons.
« Lettercamp » se place dans un mouvement perpétuel, le mouvement du projet même, et dans l’impossibilité de figer une seule des oeuvres du projet. L’installation, centrale, du mot, un temps, somewhere… L’oeuvre, combinatoire, et éphémère, n’aspire en aucun cas à un statut définitif, ni ne le revendique dans sa facture même. Il n’y aura que des traces. Des fragments. Comme ces mots lus, ici, traces d’un sursaut,d’expression, d’une envie de dire, dire ce qui frappe, en faisant. L’oeuvre manquante.
L’écriture sur paysage n’est en aucun cas une finalité en tant que telle mais un processus qui nous permet de questionner une pratique nouvelle, et surtout, surtout, de titiller une matière qui est faite de temps et d’espace.
Si sculpture nous faisons ( et s’il fallait utiliser des comparaisons issues du milieu), elle intervient dans ce médium: le temps & l’espace. Insaisissables.
La seule manière de les révéler, ( l’insaisissable n’étant ipso facto pas sculptable), est de modeler l’être-là. D’effectuer un déplacement. Une différence dans la perception. Ici, par l’injection d’un élément le modifiant. Je ne dis rien de bien nouveau, j’ai même l’impression de décrire un ESP. Un Espace de Sensibilité Picturale. Klein aurait dit « Zone de sensibilité picturale immatérielle ».
« Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n’y seront plus
Nous y trouverons leur poussière
Et la trace de leurs vertus… »
La trace. Un message laissé. De leurs vertus.
L’écriture sur paysage, laborieuse, ne peut dire beaucoup, contrainte par le spectaculaire… un slogan, une injonction, des oripeaux de ralliement. Par contre la carrière, elle, est encore exploitable. Tenter de s’exprimer dans les poussières laissées. Loin du monumental, prétention d’éternel. Jouer la carte du fragile.
Nous sommes déjà poussières.
Tenter néanmoins l’écriture. Grandeur nature. ( là je vous citerais du Thoreau, un autre jour… interrogeant l’aîné, aimé, à l’aune du présent…). Dire autre chose que la pitance d’un ralliement, un jour, l’espoir d’un demain tous sous la même bannière, auréolé de vérité. D’une communauté reporté dans le futur. Niant le ICI-NOUS.
Alors tenter l’écriture pour simplement dire le présent. Sa fragilité.
Et cette volonté, malgré tout, de dire…
Moi je ne sais d’où me viennent mes premières lectures sur paysage. Un centre commercial sans doute, celui d’Englos, ou une ferme en flandres, dont des tuiles de couleurs différentes indiquaient sur le toit le lieux-dit: « Le Plouich ». A moins que ce ne soit près d’Ararat, au tournant du siècle dernier, vers Dogubayazit, à flanc de montagne, en territoire kurde, où été écrit en pierre blanche dans un militaire campement un « Allah ». A moins que ce ne soit ce plus proche, là haut, sur la carte postale daté… le « Gloire à Jesus Christ », à Wimile.
À chaque fois ça sent l’utopie. Prête-à-porter. Formalisée. Revendiquée. Mais aucune « écriture », aucune expression individuelle. La phrase, anonyme, ou pour être plus précis, dénuée d’auteur -ce qui est différent- la phrase est celle d’un groupe. Déjà formé. Et non en formation…
Aujourd’hui rémi vient de tomber sur celle-là. Moi je poursuis la cristallisation. Des champs exploités. En écriture sur paysage.
Cliquer sur l’image pour se rapprocher…